Les droits des détenu(e)s à l'épreuve de la COVID-19

Les droits des détenu(e)s à l'épreuve de la COVID-19

Article paru dans LE MIRADOR en septembre 2020 – LE-MIRADOR-SEPT20-WEB

 

Défendre les clients détenus en période de pandémie : Un défi pour les avocats

Le 11 mars 2020, le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) déclarait, au cours d’une conférence de presse, qu’une épidémie de maladie virale à coronavirus, ou COVID-19, identifiée pour la première fois à Wuhan, en Chine, avait atteint le niveau de pandémie mondiale.

En raison de la gravité et de la cinétique de propagation de cette maladie, il appelait les gouvernements à prendre des mesures urgentes et agressives, afin d’en stopper l’extension.

Cette pandémie de la Covid-19 continue d’entrainer des perturbations multidimensionnelles d’une très grande ampleur dans le monde.

La République du Sénégal n’est évidemment pas épargnée puisqu’elle prend sa part de pain noir depuis le 2 mars 2020, date d’apparition du premier cas suspect sur son territoire.

L’état d’urgence a été décrété le 23 mars 2020, avec son cortège de restrictions sur le quotidien des citoyens, sur leurs libertés en général, celle d’aller et venir en particulier.

Au plan judiciaire, l’on a noté, à compter du 16 mars 2020, une suspension de toutes les audiences des Cours et Tribunaux à l’initiative du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, les seules exceptions étant les procédures d’urgence et celles de la chaine pénale.

Sur le même registre, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice annonçait la libération, sur grâce présidentielle, de deux mille trente-six (2036) personnes condamnées pour des infractions diverses et incarcérées dans différents établissements pénitentiaires du Sénégal.

Cette mesure forte répondait à l’exigence de protéger les personnes les plus exposées aux formes graves de la pandémie, catégorie à risque à laquelle appartiennent les détenus, en raison de leur situation conjoncturelle.

Les risques de propagation du virus sont, en effet, accrus en milieu fermé, compte tenu de l’engorgement des centres de détention, phénomène que l’on appelle généralement « surpopulation carcérale ».

Les scientifiques conviennent que le virus se propage plus vite dans un lieu confiné, souvent faiblement ventilé et insalubre ;

A cela s’ajoute que les conditions médicales préexistantes fragilisent la santé des détenus et favorisent les maladies infectieuses ou chroniques, d’où l’urgence de briser la chaine de transmission, par des mesures appropriées.

La Direction de l’Administration Pénitentiaire a dû se réajuster, pour les raisons évidentes que voilà, liées à la sécurité sanitaire des citoyens placés sous sa garde.

Le droit de ces citoyens de communiquer avec l’extérieur a été drastiquement restreint, l’une des rares exceptions autorisées, étant la visite de leurs avocats, ce qui témoigne de l’attachement de cette direction aux droits fondamentaux de la défense.

Malgré la fenêtre ouverte au profit du Barreau, force est de constater que cette situation a eu une incidence sur les activités des avocats, dont elle a considérablement réduit la marge de manœuvre, dans le traitement des affaires dont ils ont la charge.

D’aucuns, de se demander, à juste titre : comment, dans les conditions actuelles, les avocats peuvent-ils assurer convenablement et efficacement leur mission d’assister et défendre les détenus ?

Cette interrogation est d’autant plus légitime qu’il n’est pas interdit de soutenir que la Covid-19 et ses corollaires ont entrainé l’émergence d’une pratique pénale d’exception, et partant d’une procédure pénale d’exception (que l’on pourrait qualifier opportunément de procédure pénale Covid-19) au regard de l’injonction – le mot n’est pas de trop – qui nous est faite à toutes et à tous, de vivre avec le virus.

Vivre avec le virus, tout en défendant le client, est une réalité nouvelle qui cherche à concilier l’impératif de veille sur la sécurité collective avec celui de respect des droits sacro-saints de la défense.

L’état des lieux révèle en effet, comme indiqué plus haut, des problèmes qui appellent des solutions fortes, dont l’objectif premier est d’interrompre la chaîne de transmission du virus, sans compromettre les droits de la défense, mission certes difficile, mais guère utopique.

L’administration pénitentiaire n’a donc, rappelons-le, pas tardé à réagir, en suspendant les visites des familles des détenus afin d’éviter l’infection de la bulle carcérale.

Cette suspension porte, certes, atteinte à la santé morale des détenus et de leurs familles.

Toutefois, cette violation conjoncturelle, commise dans leur intérêt, est atténuée par la permission qui leur est accordée de périodiquement téléphoner à leurs familles, une ouverture notable qui devrait être généralisée dans  tous nos lieux de détention.

Il est vrai que dans le même temps, d’autres visiteurs y gardaient leur droit de visite :

  • Le personnel de l’administration pénitentiaire logeant dans le civil;`
  • Les autorités qui assurent le suivi des conditions de détention (juges d’application des peines et autres institutions de surveillance) ;
  • Les avocats qui sont chargés de mettre tout en œuvre pour garantir à leurs clients une bonne défense.

Dans « l’Amour aux temps du choléra », Gabriel Garcia Marquez, évoque « L’humanité, comme une armée en campagne (qui), avance à la vitesse du plus lent » ;

Comme l’amour aux temps du choléra, la Covid-19 obstrue sous notre ère, cet idéal de défense et institue, comme indiqué plus haut, une procédure pénale d’exception.

On ne peut toutefois bafouer le droit pour le détenu de rencontrer son avocat, ni celui, pour l’avocat de rencontrer son client détenu, puisque la défense et la justice, doivent résister à toutes les épreuves.

Il faut, en effet, rappeler que les règles minimales pour la protection des détenus adoptées par le premier Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à Genève en 1955 et approuvées par le Conseil économique et social dans ses résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957 et 2076 (LXII) du 13 mai 1977 préconisent,  au point 93, ce qui suit :

« Un prévenu doit être autorisé à demander la désignation d’un avocat d’office, lorsque cette assistance est prévue, et à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense. Il doit pouvoir préparer et remettre à celui-ci des instructions confidentielles. A cet effet, on doit lui donner, s’il le désire, du matériel pour écrire. Les entrevues entre le prévenu et son avocat peuvent être à portée de la vue, mais ne peuvent pas être à la portée d’ouïe d’un fonctionnaire de la police ou de l’établissement. »

Nous ne pouvons donc que regretter les malentendus qui nous ont valu d’avoir été, quelques fois, entravés dans l’exercice de ce droit.

Il est heureux que la direction de l’Administration Pénitentiaire ait assez rapidement mis un terme aux mauvaises interprétations de ses directives et qu’elle ait, dans la même foulée, décidé de fournir des masques aux détenus qui se présentent aux audiences.

Cette dernière initiative réjouit d’autant plus le Barreau, que nous avons-nous-même, dès le début de la pandémie, appuyé les efforts de l’Etat en  fournissant des masques, du savon et du gel hydroalcoolique à toutes les juridictions et à la Direction de l’Administration Pénitentiaire.

Les avocats sont toutefois confrontés à quelques autres difficultés majeures.

Au titre de l’organisation de la défense, dans certaines maisons d’arrêt, les visites d’avocats se font aux parloirs qui abritaient jusqu’ici les visites des  familles de détenus.

Or, si les mesures barrières sont scrupuleusement respectées, rien n’oblige l’Administration Pénitentiaire à soumettre les avocats à cet exercice pénible de devoir s’entretenir avec leurs clients au moyen d’un interphone qui n’offre guère le confort d’un échange efficient.

Il urge de trouver une solution à ce niveau et de revenir à l’ancien système de réception, avec des mesures barrières, pour casser la chaîne de transmission du virus, sans porter atteinte au libre exercice de la défense pénale.

Il reste, malgré tout, que l’idéal serait de s’en tenir scrupuleusement au principe posé par l’article 9.3 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques : « la détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle … ».

C’est dans cet esprit que le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice a, dans sa circulaire du 19 mars 2020, attiré « particulièrement l’attention des magistrats du Parquet sur les capacités limitées de nos maisons d’arrêt qui, pour la plupart, ont déjà dépassé leur possibilité d’accueil », les engageant « à reconsidérer certaines règles de notre politique pénale en poursuivant certaines infractions sans recourir à la détention provisoire ».

Parallèlement, le désengorgement des lieux de détention a été poursuivi, avec des mesures de grâce présidentielle (1021 à la korité, 674 à la tabaski) et, dans un moyen terme, des alternatives à la détention comme l’adoption des lois introduisant l’assignation à résidence et le placement sous surveillance électronique, des solutions qui ont montré leur efficacité sous d’autres cieux.

Il s’agit de rester sur cette dynamique qui est la voie royale pour éviter la propagation du virus dans les lieux de détention.

A quelque chose malheur est bon, dit l’adage.

En l’espace de 4 mois, l’exécutif a, en définitive, pris 3 mesures de grâce qui ont permis à 3731 personnes condamnées de quitter les lieux de détention.

Les forces de sécurité et de défense ont fortement accompagné cette mesure en ne recourant à la garde à vue que lorsqu’elle était strictement nécessaire.

La politique pénale des parquets a également momentanément (définitivement ?) changé puisque la règle d’or sus-évoquée, qui fait de la liberté le principe et de la détention, l’exception (corollaire de la présomption d’innocence), connait enfin un début d’exécution.

De tout cela, la défense peut tirer un enseignement majeur lié à la Covid-19 : la surpopulation carcérale et l’engorgement des tribunaux sont la conséquence d’une politique pénale quelquefois inutilement répressive et du non-respect des principes majeurs de la procédure pénale, dont le socle est le droit à la liberté et le respect de la dignité humaine.

La preuve est, en effet, ainsi faite, qu’il est possible de placer moins de citoyens présumés innocents, en détention provisoire, autrement dit de décerner moins de mandats de dépôt.

La justice ne peut rester sourde, ni aux cris de détresse des personnes détenues, ni aux appels techniques des avocats dont les demandes de mise en liberté provisoire sont, hélas, trop souvent rejetées, alors que les mandats de dépôt se multiplient.

La rigueur de l’article 173 du Code de Procédure Pénale dont l’application devrait être exceptionnelle, doit s’estomper au profit de l’obligation de neutralité du juge d’instruction qui se dégage de l’esprit et de la lettre de l’article 127 bis du Code de Procédure Pénale, lequel rappelle, au besoin, que le placement sous mandat de dépôt ne devrait être ordonné que lorsqu’il est strictement nécessaire à une bonne conduite de l’enquête judiciaire.

Comment terminer sans évoquer une entrave aux droits de la défense, constatée au plan juridictionnel ?

En effet, certaines Chambres d’Accusation n’ont pas admis la présence physique des avocats aux audiences.

Cela constitue une rupture de l’égalité des armes, puisque même s’il est admis que les avocats peuvent déposer des mémoires en réponse à l’avis du Parquet Général, leur absence aux audiences, alors que le Parquet Général y est bel et bien présent, remet en cause le principe de l’égalité des armes.

Il s’agit là d’une péripétie conjoncturelle qui sera vraisemblablement corrigée.

Le droit du prévenu d’être jugé dans un délai raisonnable a également souffert des mesures prudentielles en vigueur dans les lieux de détention.

En effet, une période de sûreté de 14 jours est imposée à chaque nouveau détenu avant d’intégrer le régime carcéral normal, ce qui engendre incontestablement un retard dans la procédure.

Apprendre à vivre avec la Covid-19, c’est également transformer notre système judiciaire afin de promouvoir le respect des droits de la défense tout en préservant la santé de tous les acteurs : avocats, magistrats, huissiers, notaires, greffiers, agents de l’Administration Pénitentiaire, personnel de sécurité, etc.

C’est pourquoi, l’Ordre des Avocats a soutenu et accompagné le projet de mise en œuvre des procès en visio-conférence, proposé par le Président du Tribunal de Grande Instance de Thiès.

Il urge en effet, d’adapter la procédure pénale aux circonstances nouvelles, autrement dit de procéder très rapidement à une réforme en profondeur de notre procédure pénale et à la modernisation de nos lieux de détention.

C’est à ce prix que nous nous inscrirons résolument dans l’après Covid-19, échéance que chacun de nous appelle de ses vœux.

Maître Papa Laïty NDIAYE

Bâtonnier de l’Ordre

des Avocats du Sénégal

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