Complainte pour Pierre MAMBOUNDOU

Complainte pour Pierre MAMBOUNDOU

Cette plaidoirie a obtenu le premier prix du troisième concours international de plaidoiries, organise par ” Le Mémorial, un musée pour la paix” de Caen (France) le 20 Mars 1992

 

La race humaine eût péri si l’homme n’eût commencé par être enfant

 

Le propos de ROUSSEAU est, à n’en pas douter, excessif, il n’en est pas moins expressif.

A l’origine, il y a l’enfant. Non pas celui qui fait ses premiers pas à quatre pattes, mais l’enfant-adulte, celui qu’il est de bon de cataloguer « bon père de famille » et de qualifier d’ordinairement « prudent et diligent ».

Son profil est sans importance, car pour tout dire, il n’est que coïncidences.

Il nage entre deux âges, il est époux, il est père. Il a donc toit, vivres et couverts.

Vient l’âge adulte, le vrai, celui auquel toit, vivres et couvert lui sont ce que les fous furent à la Cour : sans conséquences. Boire, manger, respirer, dormir cessent d’être les seuls besoins naturels et nécessaires.

S’y ajoutent en effet :

  • la liberté, premier des biens de ce monde
  • la démocratie, gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple

Désirables et désirées, elles sont quelque fois reconnues, offertes, d’autres fois violées, confisquées, souvent trahies, répudiées. Elles sont la chasse gardée de dieux terrestres dont les moindres tares sont l’égoïsme, le culte d’un moi haïssable, la cupidité, la mégalomanie. Précieuses comme les pierres du même nom, elles ne sont distillées qu’avec parcimonie et au prix de combats riches d’embuscades et de coups défendus.Surtout, que la faim, la soif inextinguible d’en jouir ne s’expriment pas sans ambages !

Comme l’épée de Damoclés, comme le vautour autour du poussin, rodent alors la mort, la prison, l’exil.

 

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Mesdames, Messieurs, j’ai fait un rêve. Le rêve par essence, c’est l’immatériel, l’abstrait. Le mien lui, n’a rien ni n’est rien d’immatériel, d’abstrait. Il est de chair et d’os. Il a une date et un lieu de naissance. Il a un nom, un prénom, une nationalité. Il est quelqu’un, quelque part.

 

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Mardi 10 Décembre 1991, mon pays, le Sénégal, a le privilège d’accueillir le sixième sommet de l’Organisation de la Conférence Islamique. L’évènement, c’est l’OCI. Des jours, des semaines, voire des mois durant, il occupe les devant de l’actualité.

Mardi 10 Décembre 1991, la Déclaration universelle des Droits de L’Homme a quarante-trois ans. Cela passe presque inaperçu, c’est le non – événement.

Je fais un rêve étrange et pénétrant.

A vous, Mesdames, Messieurs qui m’êtes inconnus mais que je sais pouvoir déchiffrer mon rêve, je m’adresse, en reprenant Régnier : « A vous seuls, en pleurant, j’adresse ma complainte ».

 

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Pierre MAMBOUNDOU est gabonais. Il est physicien, ingénieur des Télécommunications. Il occupe les fonctions de Directeur des Relations Extérieures à l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT). Avec son épouse et ses cinq enfants, il mène une vie tranquille à Chelles, en banlieue parisienne. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible.

Au mois d’Octobre de l’an de grâce 1989, ces délicieuses images s’estompent, Eden prend eaux de toutes parts. La vie devient une course d’obstacles, une succession de mauvais temps.

4 Octobre 1989 – Le temps se gâte. Monsieur MAMBOUNDOU est suspendu de ses fonctions pour des motifs nébuleux et vierges de toute connotation professionnelle.

5 Octobre 1989 – Le ciel s’assombrit. Monsieur MAMDOUNDOU apprend, à la faveur d’une dépêche de l’Agence France Presse et d’un article du quotidien  Le Monde , qu’il est impliqué dans une tentative de coup d’état ayant pour but d’assassiner Monsieur Omar BONGO, Président de la République Gabonaise.

13 Octobre 1989 – Les nuages noirs s’amoncellent. Monsieur MAMBOUNDOU est radié des effectifs de l’ACCT, sans explication et en violation des dispositions statutaires 5 Février 1990 – orage. Monsieur MAMBOUNDOU se voit notifier deux actes :

  • un arrêté en date du 1er Février 1990 du Ministre de l’Intérieur de la République Française, lui interdisant de résider ailleurs que dans le département de la Seine-et-Marne
  • une lettre en date du 2 Février 1990 du Préfet de Seine- et-Marne ampliant l’arrêté ministériel et l’informant :
    • qu’une décision de refus de séjour avait été prise à son encontre ;
    • qu’il devait quitter le territoire français dans un délai d’un mois à compter du 5 Février 1990 ;
    • qu’à l’expiration de ce délai, le 5 Mars 1990, une mesure d’éloignement pourrait être prise à son encontre

Monsieur MAMBOUNDOU, sans coup férir, fait face à l’adversité avec le flegme de Georges WASHINGTON écrivant à son frère : ” j’ai entendu siffler les balles et crois m’en il y a quelque chose de délicieux dans ce bruit”.

Face à la muleta, les rebuffades ; après les banderilles, l’estocade. Le plus dur est donc à venir.

27 Février 1990 : le déluge. Le Ministre de l’Intérieur de la République Française prend l’arrêté portant expulsion de Monsieur MAMBOUNDOU, en “urgence absolue et pour des nécessités impérieuses tenant à la sécurité publique et à la sûreté de l’Etat”. Monsieur MAMBOUNDOU est raflé plutôt qu’interpellé, enlevé plutôt qu’invité, pour une destination qui ne lui sera notifiée que dans l’avion qui le transporte.

28 Février 1990 : Sans abri, Monsieur MAMBOUNDOU est jeté, plutôt que débarqué à Dakar, où il est capturé plutôt que pris en charge par le Ministère de l’Intérieur.Il est, aux frais du prince, emprisonné plutôt que logé dans un hôtel. Commencent l’exil, l’indifférence, l’oubli, Monsieur MAMBOUNBOU est un enterré-vivant.

21 Décembre 1990 : Nouveau raz-de marée. La Cour gabonaise de Sûreté de l’Etat condamne Monsieur MAMBOUNDOU, contumax, à dix années de réclusion.

 

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De quel crime abominable, Monsieur MAMBOUNDOU s’est-il rendu coupable? Comme dans un conte, l’histoire commence par “il était une fois”.

Il était une fois, dans l’Afrique des Rois et des Bois. Un bois où vivait un roi, le bois avait nom le Gabon, le roi, Omar BONGO. Il était le bois, le bois était lui.

D’Etat il n’y avait que le Parti, de Parti, il n’y avait que le sien, le Parti Démocratique Gabonais. De gabonais, il n’y en avait que dans le Parti, de Parti il n’y avait que lui : Président-Fondateur, Secrétaire Général.

D’Assemblée Nationale il n’y avait que la sienne : députés du Parti ou de sa plume, l’un dans l’autre. De constitution, il n’y avait que sa construction.

L’omnipotence, le désir de régner étaient innés car du très officiel annuaire national pour l’année 1988, l’on a pu extraire ce qui suit :

« A cette époque, qui est celle de l’adolescence, il se fait des amis qui le considèrent un peu comme leur chef ».

Aujourd’hui, tout n’est plus en lui et à lui. Aux côtés du roi, il y a des lois.Aux côtés du parti, des partis. La conférence est nationale, le spectacle international. Le roi n’est plus seul sur la scène, il boit sa coupe sur la cène.

Pour en arriver là, il y eut bien le holà. MAMBOUNDOU fut là, pour donner le la

 

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Défends la Justice, défends la vérité et Dieu sera à jamais à tes cotés.

Comme une obsession, l’appel de Martin Luther KING le poursuit depuis plusieurs années. Il s’en ouvre à d’autres gabonais qui conviennent avec lui, de faire du Gabon, leur patrie, une terre de démocratie et de liberté, de tolérance et d’alternance, de multipartisme et de respect des droits de l’homme.

Ainsi naît l’Union du Peuple Gabonais, parti d’opposition au régime du Président Omar BONGO. Le 14 Juillet 1989 n’est pas une date ordinaire. La France fête le bicentenaire de sa révolution, tout un symbole. C’est le jour que choisit Monsieur MAMBOUNDOU pour annoncer urbi et orbi, l’existence de son parti.

L’anonymat est proscrit, les masques tombent. Il faut du courage, voire de la témérité, car il n’est point question encore de manifestations de rues à Libreville, ni, encore moins, d’une « opposition raisonnable et responsable ».

Monsieur BONGO est encore tout puissant roi du bois et compte de solides « amitiés » dans l’Hexagone. La faute, pour mieux dire, le crime, est grave, impardonnable, il a nom : Lèse-Majesté. Dans l’Afrique des Rois, la règle est de ne jamais troubler le sommeil du roi. Kocc Barma FALL, philosophe bien de chez nous, ne dit-il pas que « le Roi, ce n’est jamais l’ami ».

Monsieur MAMBOUNDOU est présenté à l’opinion nationale et internationale comme un terroriste, un dangereux activiste mû par les seuls désirs de déstabiliser les institutions républicaines gabonaises et tuer le Président BONGO. Ses parents restés au Gabon sont décrits comme l’infanterie, ses militants et sympathisants comme l’artillerie, la maison familiale comme le quartier général, un fusil de chasse comme un arsenal.

Une information est ouverte pour tentative de coup d’état, il faut lui barrer les chemins d’Etat. Non électeur et non éligible dans son pays, cela ne suffit pas, il faut, définitivement et partout, le mettre au pas. De bonne grâce, les institutions de France, comme à la chasse, entrent dans la danse.

A l’abord, invites et recommandations discrètes, de purement et simplement renoncer au combat. Refus du requis, échec et mat, suivent mesures vexatoires et obsolètes.

MAMBOUNDOU est un squatter, il est bon pour un charter, le dossier est d’une indigence telle qu’il faut n’invoquer que l’urgence. Surprise et troublée, la bonne France a très mauvaise conscience, elle avoue sans détour, qu’elle désire des choses un juste retour.

Il est de bon ton, dans le punitif concert, que M. BONGO donne le ton à visage découvert. L’endroit choisi est La Baule, ce pan de GAULE qui proclame Démocratie en accueillant Autocratie, Gérontocratie, Ploutocratie.

Pour faire bonne mesure et bonne presse, une conférence de presse sur mesure. Son verdict est sans nuance, mais pas sans incidence :

J’ai au Gabon, une opposition raisonnable, responsable, entre autres un ministre qui est là…Si Monsieur MAMBOUNDOU avait fait comme les autres, rentrer au Gabon, faire de l’opposition sur place, je ne pense pas qu’il serait envoyé à Dakar.

Mais lui, il a voulu faire des complots, des coups d’état…

S’il vient au Gabon demain il répondra de ses actes puisque ceux qui l’ont suivi sont en détention préventive…

Il subirait le même sort… Qu’il ait le courage de revenir au Gabon, comme ça il sera JUGE, CONDAMNE, peut être que je le GRACIERAI, je l’attends.

Le châtiment, on le voit, vaut la faute commise. Le fond ni la forme ne sont cependant de mise : Monsieur MAMBOUNDOU accusé de coup d’état, se voit reprocher l’injure au Parti-Etat. Il s’entend condamner pour avoir créé un parti, un jour où nombre de gabonais ont créé des partis. Il est jugé par contumace, n’ayant jamais reçu que des menaces. Enfin est reconnue l’UNION du Peuple Gabonais, alors que MAMBOUNDOU est banni du territoire gabonais. Plus tard, l’on octroie la grâce, MAMBOUNDOU n’est pas de la classe.

Avouons que la cohérence n’étouffe point l’instance.

La France officielle, dans ce feuilleton pas drôle, est loin de tenir le beau rôle. En préambule de sa constitution en date du 27 Octobre 1946, l’on a pu lire :

La France libre, doit ouvrir son sein à tous les peuples de la terre en les invitant à jouir, sous un gouvernement libre, des droits sacrés et inaliénables de l’humanité.

Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a le droit d’asile sur le territoire de la République.

Ces proclamations ont aujourd’hui moins de valeur que des incantations, la France se reconnaissant le droit non seulement d’interdire l’entrée de son territoire, mais encore d’en expulser discrétionnairement des étrangers.

Tout n’est cependant pas perdu car la justice française, au moyen d’un jugement rendu le 10 Juillet 1991 par le Tribunal Administratif de Versailles, sauve la face de la Marseillaise en disant, en substance, que la décision d’expulsion, vide de sens et d’essence est nulle et annulée. La Justice parfois, porte les germes de l’injustice.

Monsieur MAMBOUNDOU a de bonnes raisons sans même en contester la valeur, d’en critiquer néanmoins la grande lenteur, ce qui, au fond, revient au même. Son recours déposé le 30 Avril 1990, n’est jugé que le 10 Juillet 1991. De fait, le jugement n’est délivré et publié qu’en Novembre 1991, au sortir du Sommet Francophone de Chaillot, auquel participe bien sûr Monsieur Omar BONGO. Monsieur MAMBOUNDOU aura enduré VINGT ET UN MOIS d’exil avant de caresser l’espoir de revoir famille et amis.

Monsieur Abdel Moumen DIOURI, expulsé de France pour des motifs et dans des conditions similaires, a été rétabli dans ses droits en moins de trois mois.

Faut-il penser, comme mon éminent confrère Jean Denis BREDIN, qu’il y aurait une Justice pour l’ambassadeur et une justice pour le plombier ?

 

***

 

Mesdames, Messieurs, je vous ai parlé d’un homme ordinaire à qui il n’arrive rien d’ordinaire.

Pour avoir créé un parti politique, il a été poursuivi, traqué, exilé, humilié, jugé, condamné, calomnié. Pour avoir émis des opinions, il a été banni de sa patrie, expulsé de son pays d’adoption. Ses adversaires n’ont eu cure de professions de foi ni de lois, de conventions ni de déclarations.

Peu leur importe :

  • que la libre communication des pensées et des opinions ressortissent des articles 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, 19 de la Déclaration de 1948, 8 et 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 22 Juillet 1981.
  • que la libre association et la libre participation à la direction des affaires publiques soient reconnues par les articles 20 et 21 de la Déclaration de 1948, 10, 11 et 13 de la Charte de 1981
  • que le droit à la défense, la présomption d’innocence, le droit au retour dans la patrie, soient solennellement proclamés par les articles 11 et 13 de la Déclaration de 1948, 7 et 12 de la Charte de 1981.
  • que l’égale protection de la loi et le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale soient ouverts à tous les individus par les articles 7 de la Déclaration de 1948 et 7 – 1 – C de la Charte de 1981.

 

***

 

Dans un vingtième siècle vieillissant, le cas ne peut manquer de faire bondir.

Monsieur MAMBOUDOU, que j’ai rencontré, n’a rien perdu de son flegme, ni de son verve, de sa courtoisie, ni de ses convictions. Il demeure, en effet, convaincu que l’oppresseur ne donne jamais spontanément la liberté et que c’est à l’opprimé de la revendiquer.

Mesdames, Messieurs, je vous conjure de prononcer sa délivrance car, comme si bien Lamartine. “Etre seul c’est régner, être libre, c’est vivre”.

Ainsi finit mon rêve. Je vous remercie de votre attention.

 

Maître Papa Laïty NDIAYE
Avocat à la Cour – Dakar / Sénégal

 

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